lundi 12 juillet 2010

Je suis-Titre provisoire / Note d'intention-Projet 2011/2012.

Je suis… titre provisoire
Identité et paroles récoltés


Je suis Grégoire Blanchon, un homme de vingt-quatre ans, comédien et metteur en scène, amoureux de B.G., fils de Gilbert et Martine, frère de Guillaume, Benoît et Benjamin, brun, les yeux marrons-verts, habitant Lyon, homosexuel, avec un diplôme d'orthophoniste, etc...

Je m'en tiens aux faits. Pas de sens poétique particulier à cette tentative de dire qui je suis. Je dis tentative car, finalement, il est ici dit très peu de choses de moi. Même si l'ordre de ces propositions-ci renseigne certainement sur ce que je considère comme premier dans mon Identité.

J'aurais très bien pu dire:
Je suis brun, homosexuel, comédien et metteur en scène, les yeux marrons-verts, Grégoire Blanchon, frère de Guillaume, Benoît et Benjamin, habitant Lyon, amoureux de B.G., un homme de vingt-quatre ans, fils de Gilbert et Martine, avec un diplôme d'orthophoniste, etc...

Ceci n’en n’aurait pas été plus vrai.

L'ordre de ces attributs (car attributs ils sont, et non pas ce que je suis) varie selon la situation dans laquelle je me trouve et la personne à qui je m'adresse. Dans mon village d’enfance, je me définis par ma filiation; face à l'oppression subie par une minorité (ou ce que je définis comme l'oppression), je suis homosexuel; face à la joie, je suis amoureux; face à la pensée scientifique et médical, je suis orthophoniste; face au prisme au travers duquel j’appréhende la vie, je suis comédien et metteur en scène; etc...

Qu'est-ce que l'Identité?

Question qui en comporte pour moi deux:
-qui est-ce que je pense être?
-qu'est-ce que je donne à voir de moi au Monde?

Depuis longtemps ces deux questions m'obsèdent. Elles sont les veines de ma recherche théâtrale: un travail sur l'essence des choses et leur représentation. Qu'est-ce que je cache? Qu'est-ce que je montre? Quelle est la part de l'intime et du social dans ce que je suis? Comment ces deux versants d'une seule et même personne s'imbriquent, se mêlent, se complètent et/ou s'opposent?

A l'heure du débat sur l'Identité Nationale, ma vigilance est en éveil: ce que l'on nous vend comme définissable, définitif et hérité ne découle-t-il pas d'une idéologie mortifère? Si Identité il y a, ne serait-elle pas justement mouvement, vie et changement? Ne peut-on finalement pas qu'accompagner et prendre en compte cette seule mutation, cette tension entre deux pôles: d'où est-ce que je pars et vers où est-ce que je me dirige?

« Je ne peins pas l'être. Je peins le passage: non pas un passage d'âge en autre, ou, comme
dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. »
Michel de Montaigne
Les Essais
Livre III/Chapitre 2

Pour ce projet-ci, je mènerai des entretiens auprès de personnes concernées par ce sujet:
-un jeune homme qui a été adopté dans sa petite enfance: comment se construit une identité sans filiation?;
-une chercheuse en sociologie sur les questions de genre: comment se construisent les identités féminine, masculine et transgenre?;
-un artiste qui a fait de la maladie dont il est touché le centre de son oeuvre;
-une femme qui a été dévisagée à la suite d'un accident: quelle trajectoire une identité adopte-t-elle suite à un tel traumatisme?;
-etc...

Il n'y aura donc pas de travail d'auteur à proprement parler sur ce projet. En revanche, je mettrai en oeuvre une approche de dramaturge avec pour but de trouver une structure à ces différentes paroles, une façon de les faire cohabiter, se répondre, entrer en opposition...

L'objectif de ce projet est de faire entendre les contradictions présentes au sein même
d'une question telle que l'Identité, de réinsuffler du doute et de lutter contre l'univocité des définitions.
N'est-ce pas ici un des buts du Théâtre?

Ce processus sera à même de rendre compte, je pense, de nos identités-mosaïques, des
mélanges et paradoxes labyrinthiques présents dans chaque individu. Les discours composites (chaque acteur prenant en charge plusieurs paroles qui, dans une même bouche, ne deviennent qu'une) témoigneront du caractère pluriel de l'Identité.

« Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition. »

Michel de Montaigne
Les Essais
Livre III/Chapitre 2

Nous entreprendrons un travail plastique sur le visage au travers de projections de photos: comment le visage est l'interface entre notre essence et ce que l'on en montre?

Comme c'est par lui que l'on tente de contrôler notre identité? Comment c'est lui aussi qui
nous trahit, qui parle là où on ne le soupçonne pas?

Comme le dit Emmanuel Levinas, c'est le visage de l'autre qui fait effraction dans mon être et rompt ma tranquilité. Nous chercherons comment cette tranquilité est peut-être synonyme de Mort, alors que sa cessation est le mouvement-même, la Vie, en somme.
S'il y a un travail théorique permettant d'ordonner les différentes paroles récoltées, il se trouve au croisement des pensées d'Emmanuel Levinas et de Michel de Montaigne, penseurs de la pluralité et de l'être dans sa complexité.

Seule certitude: « Je suis. ». Et pour le reste...



Grégoire Blanchon
Janvier 2010

1 commentaire:

Alexia a dit…

Ca a l'air top. Et en plein dans mes questionnements existentiels de toujours, et très très actuels...