Les maux du langage
Le Théâtre des Marronniers accueille du 9 au 16 décembre 2010 la dernière création de la compagnie Songe d’une planche à vif. Avec le second volet de « Dire, peut-être », Grégoire Blanchon aborde une nouvelle fois le thème du langage et, plus précisément, les difficultés suscitées par ce dernier. Le choix d’un sujet si fédérateur avait déjà permis à la pièce de connaître un vif succès en 2009.
Si Grégoire Blanchon a souhaité aborder le thème du langage, c’est avant tout pour montrer à quel point parler ne va pas de soi. Le jeune metteur en scène, comédien et également diplômé d’orthophonie, avoue entretenir depuis les premières années de sa vie un rapport étroit et particulier à la parole. De son vécu et de celui de nombreuses personnes interrogées sur le sujet, il en a extrait un travail subtil et ludique porté avec talent par Leïla Anis et Julio Guerreiro.
Sur scène, deux comédiens assis sur des tabourets de bar observent le public à mesure que celui-ci s’installe. Dans leur dos, un peu plus d’une vingtaine d’ombres, telles des silhouettes impersonnelles, semblent les dominer. Les deux protagonistes portent des tenues quasi identiques, aux formes et tissus semblables. Cette apparente ressemblance se dissipe rapidement pour révéler deux archétypes de comportements face au langage. Il y a d’un côté le timide, le taiseux, que l’on imagine aisément les mains moites et le front humide. De l’autre côté se trouve l’extravertie, la volubile. Naturellement souriante, elle a le propos vif et assuré.
Surgit alors une voix off. Impersonnelle à l’excès, elle interroge les deux protagonistes sur divers sujets plus ou moins intimes liés à la difficulté de parler… À mesure que la pièce avance, la parole dévoile sa dualité. D’une part, utilisée à l’excès, elle efface le vide, comble les angoisses jusqu’à atteindre parfois une dimension pathologique. D’autre part, elle peut également se rendre précieuse par sa rareté, par l’emploi du mot juste, à l’inverse de tout bavardage.
Pourquoi prend-on la parole ?
Ainsi, cette pièce a de pertinent sa capacité à convoquer une part de chacun. On se reconnaît forcément un peu, on s’identifie dans une de ces deux individualités. On apprécie les ingénieux procédés de répétition de certaines séquences. Sémantique, philosophie et linguistique semblent se rejoindre ici. « Pourquoi prend-on la parole ? À qui la prend-on ? Qui nous donne la parole ? Que faut il dire ?… » résonnent comme autant de questions intégrées consciemment ou non dans nos attitudes orales du quotidien.
Quant au jeu des deux comédiens, il permet de donner du rythme à cette pièce. Leïla Anis incarne parfaitement l’extravertie, l’ingénue un peu taquine avec une chaleur dans la voix, un ton qui rappelle parfois le personnage d’Amélie Poulain. De son côté, Julio Guerreiro se montre d’une remarquable justesse dans sa manière d’interpréter l’hésitation, le bafouillage et autres signes de malaise dans la prise de parole. De même, les éclairages s’inscrivent de manière cohérente dans la pièce : les froides tonalités de bleu renvoient à l’aspect impersonnel de l’administration, voire le climat des entretiens d’embauche, où le fait d’être à l’aise oralement tient une place prépondérante.
Dire, peut-être dans cette nouvelle version s’apparente à une pièce fraîche, pertinente et ludique qui mériterait de durer plus. Le propos pourrait alors se déployer davantage, gagner encore en consistance, profondeur et se démarquer totalement d’un travail en cours.
Élise Ternat
Les Trois Coups