jeudi 27 janvier 2011

Traces incertaines.

Aujourd’hui, Mamie est morte.
Morte.


Mamie emporte avec elle son histoire. Un bout de mon histoire. Et, en quelque sorte, une part de l’Histoire.



Quelle(s) trace(s) laisse-t-elle? Laisse-t-on seulement une trace?




Sur la fin de sa vie, elle avait de « faux » souvenirs:
« Taisez-vous! Le pape est passé hier et les paparazzis sont à l’affût de tout ce que l’on peut dire!»
Tragique et burlesque de la démence, de la Mémoire -la Raison?- qui fout le camp.


Les « vrais » souvenirs sont-ils si réels? Les « faux » si peu dignes d’intérêt et de considération?



Quand la Mémoire de ses aînés s’étiole, quand les traces sur lesquelles nous nous sommes construits, structurés s’effacent, que reste-t-il de notre identité?


Qui sommes-nous si ce n’est le récit que nous nous faisons de nos propres histoires (nationales, sociales, familiales et individuelles)? Quand ces récits sont remaniés par le présent qui les ampute d’éléments essentiels, quand les trous, les manques se multiplient, comment les comble-t-on? Quelles sont les forces de transformation que nous mettons en oeuvre pour maintenir ces traces incertaines, les transmuer en récits neufs et faisant sens? A quoi un travail d’acceptation et de transformation de cette déliquescence fait-elle place?





Les traces sont-elles si éphémères?


A ma grand surprise, à l’occasion du décès d’un oncle que j’aimais énormément, je n’ai pas ressenti de tristesse. Je doute de la « vie après la mort » à proprement parler. Pour autant, j’avais le sentiment que comme « il a été, il est et il sera ». Concrètement? Je le sens dans l’air. Il y a sa trace quelque part: dans ma Mémoire, c‘est sûr; dans mon corps, aussi; mais également dans l’air, dans l’Ame du Monde, en quelque sorte… Il est passé, il a modifié quelque chose de ce Monde, même infime. Il y a laissé sa trace.



Me dis-je cela pour me consoler?





A partir d’entretiens auprès des résidants de l’Hôpital Gériatrique de Pélussin (42) et de leur entourage proche ou lointain (famille, soignants, personnes du village voisins de l‘Hôpital, etc…), l’équipe du spectacle composera un spectacle s’interrogeant sur la Mémoire, la Trace.
La création de « Traces incertaines » me permettra de cheminer vers ce maelstrom de questions encore confuses que je me pose sur la Mémoire et la Trace.


Ligne de conduite: ne pas donner de réponses -bien malin celui qui peut affirmer en asséner sur ce sujet- mais ouvrir les possibles, les champs d’exploration de mémoires partielles et éphémères, mais sensibles et personnelles.




L’équipe de ce spectacle sera constituée d’Alexia Chandon-Piazza, comédienne. Elle aura en charge la parole de l’entourage des personnes touchées par la perte de Mémoire.
Julio Guerreiro, comédien également, adoptera le point de vue de l’anthropologue, de l’observateur - mon point de vue en quelque sorte. Le point de vue de celui qui ne sait pas.
Quant à Benjamin Gibert, compositeur en musiques électro-acoustiques, il créera des morceaux entre musique concrète, témoignages purs et électro-pop à partir des voix de personnes âgées interrogées, des traces vocales de leurs propres histoires. Il jouera ces morceaux-ci sur le plateau en dialogue direct avec les comédiens.


Après une résidence d’écriture, ce spectacle verra le jour lors des Bravos de la Nuit 2012 pour lesquels nous tenterons, dans la plus grand humilité face à ce Mystère que constitue la Mémoire, d’ « abandonner les voies rapides et suivre les traces incertaines »*.







Grégoire Blanchon
Novembre 2010
*Jean-Luc Lagarce in « Du luxe et de l’impuissance »
« Se faire de nouvelles promesses »

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours membre active du fan club de Grégoire j'ai hâte d'être à l'été 2012 pour voir ce beau spectacle qui, je suis sûre, me touchera à bien des égards.
alex'mum

Grégoire a dit…

;-)